Lors de mon année de maîtrise en Information & Communication à l’Université de Nantes, je me suis vu dans l’obligation de rendre non pas un mais deux mémoires (autant dire que je n’ai pas beaucoup dormi durant ces quelques mois …).

Pour le premier, j’avais choisi de m’intéresser aux répercussions du 11 septembre sur l’industrie hollywoodienne (nous étions alors en 2002). Le second – dont je suis le plus fier – était quant à lui consacré aux diverses sources d’inspiration de la première trilogie Star Wars (Un nouvel espoir, L’Empire contre-attaque et Le retour du Jedi au cas où vous auriez un doute). Elles sont nombreuses : les mythes et les contes de fées, les serials, les westerns, les films de samouraï japonais (La forteresse cachée tout particulièrement), l’Histoire du 20e siècle, la propre vie de George Lucas. Et, bien entendu, Le Seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien.

Quelques années plus tard, quand j’ai appris que les éditions Edysseus préparaient un recueil d’articles spécialisés sur Tolkien et sa création, j’ai retravaillé la partie de mon mémoire qui lui était dédié et leur ai proposé un texte d’environ 3000 mots qui a été retenu pour rejoindre l’anthologie. Intitulé Tolkien, un autre regard sur la Terre du Milieu, l’ouvrage a été publié fin 2005.

Je me permets de reproduire ici l’introduction de mon article, en espérant que vous serez tentés de lire la suite (ainsi que les autres articles constituant le recueil, qui sont pour la plupart assez passionnants). 

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Hobbits et Jedi

En 1977, au moment de la sortie en salles du premier Star Wars, George Lucas répondait ainsi aux journalistes qui lui demandaient pourquoi il avait réalisé le film : « parce qu’une génération entière est en train de grandir sans contes de fées ». Plus tard, il ajoutera : « je voulais faire un film pour enfants qui renforcerait la mythologie et introduirait une espèce de morale fondamentale ».
La fascination du cinéaste pour les récits merveilleux remonte au début des années soixante, à l’époque où il suivait avec passion des études de sciences sociales et d’anthropologie, avant de se décider à entrer au département cinéma de l’USC (University of Southern California). C’est là qu’il découvre les travaux essentiels de Joseph Campbell (1904-1987) sur le sujet, et en particulier son œuvre phare, Les héros sont éternels (The Hero with a Thousand Faces, 1948), véritable institution aux États-Unis, hélas moins connue de ce côté-ci de l’Atlantique.
« Il ne serait pas exagéré de dire que le mythe est l’ouverture secrète par laquelle les énergies inépuisables du cosmos se déversent dans les entreprises créatrices de l’homme. Les religions, les philosophies, les arts, les formes sociales de l’homme primitif et historique, les principales découvertes de la science et de la technologie, les rêves mêmes qui troublent le sommeil proviennent du cercle magique et fondamental du mythe » écrit Campbell dans les premiers pages de son ouvrage. De cette idée, le mythologue en concluait qu’une société moderne privée de légendes et d’Histoire (au hasard, les États-Unis) aurait un mal fou à intégrer ses individus, éternels Peter Pan condamnés à demeurer inachevés.

Le pouvoir du mythe

«  Il y a bien longtemps dans une galaxie lointaine, très lointaine ». Voici comment débute chacun des six volets de la saga créée par George Lucas. Le parallèle avec le célèbre « il était une fois » des contes de fées est trop évident pour ne pas être délibéré.  En jeune padawan soucieux d’appliquer le savoir transmis, le cinéaste aurait-il tenté, avec Star Wars, d’offrir aux jeunes Américains de son époque une expression nouvelle du « Grand Mythe » perdu si cher à son mentor (1)  ? Il n’est pas interdit de le penser. Au-delà du nombre impressionnant de motifs empruntés aux récits merveilleux (princesses, chevaliers, magiciens et créatures fabuleuses), c’est surtout la structure narrative, résolument mythologique, qui nous chuchote les intentions réelles du réalisateur. Joseph Campbell mettait en valeur dans Les héros sont éternels le retour obsessionnel des mêmes motifs dans les récits de civilisations pourtant fortement éloignées dans le temps et l’espace. Motifs que Lucas ne va pas hésiter à reprendre à son compte. Pour s’en convaincre, quelques intitulés de chapitres de  L’aventure du héros, première partie des Héros sont éternels, joliment évocateurs : « l’appel de l’aventure », « le refus de l’appel », « l’aide surnaturelle », « le ventre de la baleine », « la rencontre avec la déesse », « la délivrance venue de l’extérieur », « la réunion au père », « le don suprême », « la fuite magique ». La démarche de Lucas est donc pour le moins ambitieuse. Mais est-elle pour autant inédite ?

Un anneau pour les gouverner tous

Selon Vincent Ferré, auteur de Tolkien, sur les rivages de la Terre du Milieu, John Ronald Reuel Tolkien, professeur d’anglo-saxon à l’Université d’Oxford passionné de linguistique et de folklore, « était frappé par l’absence d’une mythologie anglaise, propre à son pays », disparue après l’invasion normande de 1066, et souhaitait livrer au public britannique du vingtième siècle « une mythologie littéraire qui viendrait remplacer l’absence d’une mythologie au sens propre, d’un mythe » (2). Tiens tiens …
Ayant décidé de prendre les choses en main, et accompagné dans sa mission par d’autres passionnés de fantasy (notamment C.S. Lewis, l’auteur des Chroniques de Narnia), Tolkien n’aura jamais cessé jusqu’à sa mort en 1973 d’apporter de nouvelles pièces à l’œuvre de sa vie : l’élaboration d’un univers complet, baptisé Terre du Milieu, avec sa géographie, son Histoire, ses civilisations, ses langues. Cycle central de cette magistrale création, la trilogie du Seigneur des anneaux (1954-1955), qui finira par s’imposer avec le temps comme l’ouvrage le plus lu au vingtième siècle dans les pays anglo-saxons, juste après la Bible. Rien de moins.
 Pari réussi pour Tolkien, donc, qui aura réussi comme personne à réconcilier le public moderne avec le « cercle magique et fondamental du mythe » évoqué, à peu près à la même époque, par Joseph Campbell. Bien évidemment, la réussite exemplaire de l’érudit d’Oxford s’est présentée à Lucas comme un parfait modèle à suivre quand il a été question de donner naissance sa propre mythologie moderne. Un modèle tellement parfait, même, qu’il fut un temps tenté d’en acquérir les droits. Ces derniers étant déjà détenus par Saul Zaentz (producteur de l’adaptation – inachevée – du pavé en film d’animation par Ralph Bakshi en 1978), le cinéaste n’eut pas d’autre choix que d’y renoncer et de se replonger dans la longue écriture (quatre ans) de son propre récit féerique. 
Une question toute naturelle s’impose alors : que doit précisément l’intrigue de la première trilogie Star Wars à celle du Seigneur des anneaux ? Réponse : à peu près tout ! Comme nous allons le constater dans notre petite étude comparée.

(1) Lucas et Campbell finiront par se rencontrer et se lier d’amitié. Quelques mois avant la disparition de Campbell, le créateur de Star Wars invitera au Skywalker Ranch celui qu’il appelait affectueusement son « Yoda » pour enregistrer une série d’entretiens, réunis dans un ouvrage, Le pouvoir du mythe.
 (2) Cité in Dossier J.R.R. Tolkien, Les Inrockuptibles, n°317 (semaine du 11 au 18 décembre 2001.

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